Quand il neigeait à Boulogne, tous les Russes de l'immeuble
étaient heureux. C'était la fête. Ma grand-mère
débarquait dans ma chambre à sept heures du matin.
«Debout là-dedans ! hurlait-elle. Regarde !» Elle ouvrait
les volets d'un geste magistral pour me montrer le ciel
blanc. «Il neige ! Habille-toi ! Vite !»
Babou n'était pas une grand-mère ordinaire. Elle me
racontait que les yeux des filles, en Russie, brillaient
comme le reflet de mille pierres de lune dans la nuit. Les
garçons les aimaient, ils les embrassaient, puis ils les
oubliaient.
C'est l'hiver de mes treize ans qu'à mon tour j'allais
découvrir l'amour. Il s'appelait Boris. Il avait les yeux
bleus et quelque chose au milieu qui me donna envie d'y
plonger.